Francis Chigot, né en 1879, est le fils d’un peintre-décorateur limousin réputé formé sur les chantiers parisiens du Baron Haussmann et d’une mère elle-même fille d’un sculpteur-tailleur de pierre installé à Limoges. Bachelier, puis élève brillant de l’École nationale des Arts Décoratifs de Limoges dont il sort avec le 1er Grand prix en 1899, Francis « monte à Paris ». Il y noue des contacts mais fait le choix de reprendre, à 23 ans, l’atelier paternel à la suite de la mort de son père. En réalité, c’est le verre, le vitrail, qu’il a dans la tête, poussé en cela par ses maîtres de l’ENAD. En 1907, il inaugure officiellement un atelier de peintre-verrier, rue Montmailler, avec une petite équipe de peintres sur verre et d’ouvriers coupeurs-poseurs. C’est le début d’une longue carrière (53 ans) de maître-verrier chef d’entreprise resté actif jusqu’à ses derniers jours.
Adepte enthousiaste des verres américains jaspés, et du verre antique, il est aussitôt sollicité par des particuliers, châtelains et commerçants, pour des vitraux de caractère. Dès 1908, il expose au Salon des Artistes Français avec L’émaillerie limousine. Il multiplie dès lors les participations aux grands salons parisiens avec des Paysages « Art nouveau » (Salons d’Automne, Galliera…). Aux vitraux civils s’ajoutent très vite les vitraux religieux. Membre de la Société de St-Jean dès 1910, Chigot se voit contraint de concilier ses envies et les demandes d’une clientèle conservatrice. Après son mariage en 1909 avec Élina Coursaget, il devient vite père de famille. Mobilisé en août 1914, il est versé dans la territoriale à Limoges même, ce qui permet à l’atelier de subsister.
L’entre-deux-guerres l’installe parmi les plus grands du vitrail Art déco et du verre blanc industriel, familier des Gruber, Barillet, Labouret, Gaudin… A Limoges, il emporte en 1927 le prestigieux marché de la gare des Bénédictins. Grand-prix dans de nombreuses expositions régionales, à l’Exposition universelle de Paris 1925 avec La Tapisserie, à celle de Barcelone de 1929, de Paris 1931 encore, il conclut avec celle de 1937 un cycle prestigieux. Présent partout à Vichy depuis 1911, Montluçon, Moulins, on le trouve au casino de Biarritz, à Nice, Menton, dans le Centre-Ouest etc., tandis qu’il multiplie les réalisations religieuses, modestes ou spectaculaires : dans 20 églises de la Reconstruction en Nord-Pas-de-Calais, et un semis de centaines d’églises en Nouvelle-Aquitaine, en Deux-Sèvres, dans l’Allier…
Technicien du verre hors pair, cet autodidacte passionné du patrimoine médiéval devient très vite un des interlocuteurs privilégiés des architectes des monuments historiques. Après la restauration de l’Arbre de Jessé de Notre-Dame de la Borne (Creuse) en 1917, les commandes ne vont plus cesser, avec une douzaine de cathédrales à son actif (Poitiers, Auch, Montauban, Bourges, Dijon…), des dizaines d’églises et des bâtiments civils tel que l’hôtel Fumé de Poitiers, des chantiers mêlant souvent restauration et création. Les églises de la Reconstruction, comme celles, de béton ou de ciment armé de Vichy, Ribérac, La Rochelle, Limoges, La Garenne-Colombes… sont pour lui le moyen d’affirmer, avec l’aide de divers cartonniers, son ancrage dans l’art de son temps.
Chigot est d’abord et avant tout l’homme du verre, des verres, des couleurs et de la lumière. Un maître-verrier chef d’entreprise qui met en musique les cartons des autres. Il fait d’emblée appel, dès 1908, à ses deux maîtres de l’ENAD, Charles Bichet (paysages) et Léon Jouhaud (paysages et religieux). Pour le religieux traditionnel néogothique, il mobilise les Parisiens Ernest Weingand puis Schalhauser. À partir de 1920, et pour quarante ans, Chigot s’entoure du très doué dessinateur limousin Pierre Parot, qu’il recrute au sortir des tranchées. Georges-Louis Claude, Grand Prix Paris 1925, devient son « chartriste » et moderne de confiance, Boignard celui de la Reconstruction. À ceux-là s’ajoutent des peintres tels que les Frères Barberis, Fernand Maille, Florane, Georges Lebacq, Edy Legrand. Vient, à partir de 1950, le temps des vitraux « contemporains » désormais cosignés : il collabore avec André-L. Pierre, Marthe Flandrin, TH.G. Hanssen, Fr. Bertrand, Georges Devèche, P. Parot toujours, tout en assumant même des propositions géométriques d’architectes, parfois spectaculaires (les deux St-Amand de Boixe et de Coly…).
Fort de ses Grands-prix, il avait enlevé en 1931 la commande de onze verrières pour la basilique Notre-Dame de Montréal (1931-1932), avec pour cartonniers G.-L. Claude et H. Barberis. Mais survinrent la Crise de 29 puis la guerre. Dès 1947 il repart à la conquête de l’étranger : tout en menant 5 chantiers en Algérie avec Th.-G. Hanssen comme cartonnier, il retrouve le Canada avec les Dominicains de Québec, puis parvient à obtenir quelques gros chantiers aux États-Unis, au prix de quatre voyages (1953-1957) : Cathédrale de Richmond (Virginie), St. Matthew d’Akron (Ohio), St. Francis de Norristown (Pennsylvanie), sur des cartons de Hanssen, Pierre Parot, Charles Plessard, …
L’Occupation le voit amorcer une collaboration de longue durée avec le peintre Charles Plessard, en Deux-Sèvres et à Annecy (La Visitation), que suivront les chantiers d’Arliquet/Aixe-sur-Vienne. Pierre Parot équipe la Basilique de Conques (1945-1952). À partir de 1948-50, Chigot s’ouvre au géométrique non figuratif : Lessay (50), St-Amand-de-Boixe (16), St-Amand-de-Coly (24), ou encore Chars (95, cartons de Fr. Bertrand), tout en multipliant un figuratif plus torturé, celui de Théodore-G. Hanssen et de Pierre Parot (Sacré-Cœur de Limoges etc.).
Jusqu’à sa mort en mai 1960, Francis Chigot avait conservé le dynamisme de ses débuts.. De l’artiste il a eu l’intuition, le goût des couleurs, la sensibilité aux courants successifs de son époque.
De l’artisan surtout, il eut la ténacité, l’application tranquille, le souci du détail, le sens de l’œuvre, la volonté d’aboutir qu’il savait communiquer autour de lui.
En août 1960, les ouvriers de son atelier ont fondé une coopérative ouvrière : « l’Atelier du Vitrail » qui poursuit toujours son œuvre à Limoges.
A Limoges en 1980, à Arras en 1989, à Saint-Léonard et à Limoges en 1998, des expositions ont rappelé son rôle comme rénovateur de l’art du vitrail en France au XXe siècle. Pour poursuivre l’étude de son œuvre et la mettre en valeur, une association est née en juillet 2018 « Francis Chigot et l’art du vitrail au XXe siècle ». Avec l’aide de ses membres et partenaires, elle accompagne très vite la découverte et la restauration de pièces majeures qui lui sont confiées, dès 2022 la parution d’une biographie inédite aux Editions Mon Limousin et la production d’un Film documentaire. A partir d’octobre 2022 se tient une exposition d’intérêt national au Musée des Beaux-Arts de Limoges qui rejoint en novembre 2023 la Cité du Vitrail à Troyes.
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