Vous avez tous vu des vitraux, mais si vous avez été frappés par les tons qui ont pu vous charmer, bien rares certainement sont ceux qui ont essayé de deviner de quelle façon pouvaient être obtenus ces décors translucides.
Je vais essayer de vous faire comprendre la technique de ce métier, vous dire ce qu’il faut désirer que soit un vitrail et après un rapide exposé historique, je vous dirai les tendances modernes de ce métier.
Monsieur Marcel Aubert l’érudit et distingué Directeur de la société Française d’Archéologie a dit dans un article fameux : « l’art du vitrail est peut être un des plus captivants. Le peintre verrier ne crée pas seulement de la beauté, il crée de la lumière à la joie de la forme, du contour, de la ligne, de la couleur s’ajoute celle de l’éclat lumineux ». Les artistes du moyen âge étaient arrivés à la maîtriser en cet art, leurs tons habilement distribués, scintillant dans la lumière et donnant à l’intérieur de nos cathédrales du XIIIème siècle, cette atmosphère brillante, nacrée, incomparable qui élève l’âme et la fait rêver aux splendeurs du Paradis. Même aux jours gris lorsque le ciel est triste ces grandes verrières réchauffent ces églises et y mettent cette lumière aussi brillante que celle du soleil qui enthousiasmait déjà les chroniqueurs du Moyen âge.
À part quelques changements de détail, la technique a toujours été la même…
Le vitrail est essentiellement composé de verres de différentes couleurs, reliés entre eux par des plombs de façon à former une mosaïque translucide, ces verres dont très souvent peints pour obtenir des traits ou des modelés ; mais nous verrons plus loin que c’est l’abus du détail de cette peinture et surtout des modelés inspirés de la peinture proprement dite qui a fait naître le vitrail tableau, une des causes de la décadence de cet art à la fin du XVII ème siècle.
L’artiste qui doit créer et qui veut pouvoir exécuter un vitrail est donc tenu de s’en rapporter à des règles immuables comme pour tout ce qui touche à l’art de bâtir.
L'armature : diviser le vide
Lorsque cet artiste connaît la hauteur et la largeur du vide qu’il a à décorer ainsi que sa forme, il doit se préoccuper de la façon dont il divisera ce vide, ces divisions vont constituer ce qu’on appelle l’armature qui assurera la rigidité de l’ensemble et dont aucun vitrail important ne peut se passer. Chaque panneau ne devant pas normalement dépasser 80 décimètres carrés (ou si vous le voulez 9 pieds carrés). Les armatures étaient autrefois composées de fers carrés nommés barlotières, on se sert maintenant plus simplement de fers à T ; elles étaient aussi un véritable travail de forge, suivant exactement les divisions et les formes prévues par l’artiste, à notre époque et seulement pour des raisons d’économie on se contente en général de divisions carrées ou rectangulaires, l’armature il est vrai n’est nécessaire que dans le cas ou la largeur de la baie dépasse 3 pieds, dans tous les autres cas ces divisions horizontales suffisent.
La maquette : reflet absolu d'exécution
La question des divisions réglées, le verrier compose sa maquette d’après le sujet qui lui est imposé et qui doit être le reflet absolu de ce que sera l’exécution définitive ; lorsque ce travail est arrêté tant du point de vue de la composition proprement dite que des tons de chacun des éléments, il établit son dessin grandeur d’exécution, c’est ce qu’on appelle le carton , sur ce carton il se préoccupe de déterminer l’emplacement des plombs qui relevés ensuite sur un papier calque constituent ce que l’on appelle le tracé de coupe .
Le calque sur lequel tout le réseau de plomb a été dessiné et que nous avions appelé tracé de coupe est reporté scrupuleusement sur un papier fort dit papier à calibre lequel est destiné a être découpé en autant de morceaux qu’en comporte le tracé de coupe, ces morceaux de papier fort s’appellent calibres, c’est en suivant avec la pointe de son diamant le bout de ces calibres que le coupeur découpera chaque morceau de verre.
La coloration
Avant de séparer ces différents morceaux de papier fort il faut procéder au travail de la coloration qui est un des plus importants du métier ; l’artiste verrier possède en petits échantillons tous les tons de verre qui sont classés dans des casiers dans son atelier même, à l’aide de la maquette il choisit parmi ces tons quels sont ceux qui doivent convenir, il note alors sur chaque calibre le ton et le n° du casier dans lequel se trouve le verre choisi.
L’ artiste remet alors au traceur le papier fort sur lequel il vient de faire ce travail pour que ce dernier découpe les différents calibres, cet ouvrier exécute ce travail à l’aide d’un couteau à lame double dont les pointes laissent entre elles un tout petit espace correspondant à l’épaisseur du cœur du plomb à feuillure qui sera employé pour relier entre eux les différents morceaux de verre.
La coupe des verres
Au fur et à mesure que ces calibres sont séparés les uns des autres l’ouvrier les dépose sur le calque que nous avons appelé tracé de coupe à leur place respective, le coupeur va maintenant procéder à la découpe des verres, l’artiste créateur intervient alors de nouveau car le coupeur ne peut découper seul que s’il s’agit de travaux simples, exécutés avec des verres colorés ordinaires ; En effet, pour les beaux vitraux d’églises on emploie un verre appelé verre antique qui est fabriqué spécialement dans ce but en petites feuilles d’environ un pied de large par deux pieds de haut dont l’épaisseur est irrégulière, ce qui produit des inégalités dans l’intensité des tons, intensité qui varie avec l’épaisseur de la partie employée, il faut par conséquent que l’artiste désigne au coupeur la partie de la feuille où il est nécessaire que tel ou tel calibre soit découpé, car
… afin que le peintre n’ait plus qu’à affirmer par quelques traits et quelques touches de grisailles les physionomies des personnages, la forme des mains, les plis des vêtements etc…
Pour permettre au peintre sur verre d’exécuter ce travail, un monteur assemble les différentes pièces de verre à l’aide d’un réseau de plomb très fin, c’est la mise en plomb provisoire, on obtient ainsi des panneaux sur lesquels le peintre exécutera le trait et les ombres qui sont indiquées sur le carton mais le créateur en profite pour examiner si tous les tons sont bien ceux qu’il désire car il peut y avoir des erreurs et aussi malgré l’expérience , l’artiste a pu se tromper et certains tons désignés ne pas donner ce qu’il en attendait, on change alors tout ce qui est défectueux et le peintre exécute son travail.
La peinture sur verre
Je vous ai dit il y a un instant que cette peinture s’appelait grisaille. La grisaille est un oxyde de fer ou de manganèse broyé avec un fondant et que le peintre sur verre emploie en le mélangeant avec un peu de vinaigre, ce produit est opaque, il va du noir intense au brun rouge clair, il sert selon des préparations diverses à exécuter le trait ou les ombres plus ou moins légères. Au cours de l’exposé historique je vous dirai quelques mots sur le jaune à l’argent et les émaux, et pourquoi ces éléments de la peinture sur verre doivent être ou bannis ou employés avec modération.
La peinture étant terminée, les panneaux sont entièrement démontés de leurs plombs et chaque morceau de verre placé sur les plaques du four qu’on appelle moufle pour subir la cuisson d’environ 600° centigrades qui fera adhérer pour les siècles la peinture dont nous venons de parler sur les différents morceaux de verre.
Les moufles sont en terre réfractaire, les plaques en tôle d’acier au nombre de 16 à 20 sont recouvertes d’une couche de plâtre sur lequel on dépose les différentes pièces de verre, lorsque le moufle est garni on le ferme hermétiquement pour le chauffer, cela se fait selon l’installation, au bois, au charbon ou au gaz mais quel que soit le procédé il faut surveiller la cuisson et la diriger pour obtenir un bon résultat, lorsque les éprouvettes de contrôle s’affaissent on arrête le feu et on attend habituellement 24 heures pour ouvrir le four et sortir les plaques.
La mise en plomb
Chaque morceau de verre est alors brossé, nettoyé et replacé sur le tracé de coupe, les monteurs en plomb s’en emparent panneau par panneau pour faire la mise en plomb définitive, ils suivent alors les indications de l’artiste créateur car selon les cas et dans un même vitrail on emploie des plombs très étroits ou des plombs très larges, quoique les différences ne soient généralement que de 3/16ème de force pour les plus étroits à 9/16ème pour les plus larges, le plomb est en effet un auxiliaire précieux pour renforcer certains traits.
Le soudage du vitrail
La mise en place terminée l’ouvrier soude avec de la soudure fine à 2/3 d’étain toutes les rencontres de plombs pour obtenir un réseau indéformable, l’artiste fait alors installer le vitrail complet dans un grand atelier où il peut se rendre compte avant de livrer son travail si tout est bien conforme à ses désirs car il est temps encore de faire quelques changements si cela est nécessaire. Le vitrail étant descendu, les différents panneaux sont passés à des ouvriers qui à l’aide d’un pinceau court et gros enduisent ses deux faces d’un mastic assez liquide et le frottent dans tous les sens pour le faire pénétrer dans les plombs, en séchant ce mastic fait adhérer les verres aux plombs et au bout de 4 ou 5 jours chaque panneau est aussi rigide qu’une planche, cela rend aussi le panneau indéformable à la pluie et à l’air, on peut alors après avoir étiqueté chaque panneau pour la pose d’après un plan établi dès le début, emballer le vitrail et l’envoyer à destination.
Les matériaux
Le Verre Tous les verres employés sont colorés dans la masse c’est à dire que les différents tons sont obtenus par les maîtres de verreries en mélangeant à la masse vitreuse blanche et le creuset même au moment de la fusion des oxydes métalliques.
Le cuivre donne le bleu clair, les verts les rouges ; le cobalt donne les bleus intenses dits bleus XIII ème ; le manganèse donne les rosés et les pourpres, ces tons s’obtiennent aussi avec l’or mais ils n’ont pas alors la même nature ; le fer aide aux réactions ; la fumée de bois donne les jaunes indécis et nacrés du XIII ème à cette époque le rouge était déjà un verre fabriqué en deux épaisseurs c’est à dire que sur une masse vitreuse verdâtre ou jaunâtre il y a une légère tache de rouge, en effet en épaisseur trop forte ce ton est presque noir, depuis on fait des verres en 2 et 3 épaisseurs en bleu, vert, jaune, rose à l’or, jaune au strontium, rouge au sélénium etc…
Pendant toute la belle période du vitrail, du XIIè au XVIè siècle, les verres de couleur étaient coulés en plaques et forts inégaux d’épaisseur et de coloration ; les verriers de ces époques ont toujours utilisé avec beaucoup d’adresse ces irrégularités pour le modelé de leurs personnages, ces différences donnaient aussi aux fonds unis un aspect chatoyant qui à distance augmentait singulièrement l’intensité des tons. Au fur et à mesure que les nouveaux procédés de fabrication du verre permirent d’obtenir des verres plus unis et plus réguliers d’épaisseur, ces qualités si utiles pour les vitraux disparurent, c’est ce qui à nui à toutes les productions du début XIX è siècle . Il a fallu les recherches du grand architecte français Viollet le Duc sur les vitraux anciens et la science des maîtres de verreries de la fin du XIXè siècle pour permettre de fabriquer de nouveau des verres avec toutes les irrégularités qui faisaient leurs qualités au XIII è siècle. Ils sont désignés sous le nom d’antique et leur emploi est maintenant absolument exigé pour tous les architectes des monuments historiques de France.
Les verres plaqués dont je vous ai parlé il y a un instant peuvent être gravés à l’acide fluorhydrique le seul vous le savez qui attaque le verre, on obtient alors toutes les dégradations de tons désirés, les anciens qui n’avaient pas l’acide fluorhydrique gravaient avec du sable et une pierre, puis avec un meule.
les opales ont malheureusement l’inconvénient de ne pas conserver longtemps leur limpidité, aussi comme les verres antiques, il est probable qu’au bout d’une centaine d’années d’exposition à l’air, peut être moins, ils seront complètement opaques. [Francis Chigot pensait à cette époque que les verres opales se terniraient avec le temps. Aujourd’hui ils sont toujours intacts, N.D.L.R.]
Pour sertir les verres on s’est toujours servi de plomb pur et d’étain pur pour souder les plombs entre eux, ces plombs sont étirés par des laminoirs, il sont toujours composés de deux ailes doubles et d’une partie centrale épaisse que l’on appelle le cœur, les morceaux de verre viennent s’encastrer dans les ailes de plombs ouvertes à l’avance que l’on rabat ensuite sur la pièce de verre.
Au XIIIè siècle ces plombs étaient laminés au rabot ce qui donnait des plombs fort grossiers et difficiles à employer.
Les couleurs
A la base les grisailles que je vous ai décrites en partie, peintures opaques allant du noir au brun rouge clair qui servent à faire les traits et les ombres, au XVIè siècle Jean Cousin peintre verrier célèbre a découvert une grisaille spéciale d’un joli ton chaud qui sert à faire assez souvent les carnations des personnages, toutes ces couleurs sont à la base de fer, de cuivre et de manganèse.
Au XIVè siècle le hasard fit découvrir le moyen de teinter en jaune les verres blancs, c’est le sulfure d’argent qui donnait ce résultat, on se sert maintenant uniquement de chlorure d’argent, c’est la seule couleur que les peintres verriers avaient à leur disposition pour colorer les verres blancs d’une façon aimable, en effet cette couleur opère sur le verre comme une teinture sur une étoffe et selon la constitution chimique des verres blancs peut aller du jaune citron clair au jaune rouge le plus profond.
Au XVIè et au XVIIè siècles on s’est servi d’émaux en petite quantité, ces émaux ne donnaient qu’une teinte superficielle, au début du XIXè la manufacture de Sèvres voulut peindre le verre comme la porcelaine à l’aide d’émaux en couches minces, le résultat fut désastreux.